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L'affaire Levana
L'affaire Levana
  • Du haut des plateaux calcaires jusqu'au fond des combes, la nuit comme le jour, l'hiver comme l'été je cours, roule et galope. Autour de moi, une écharpe de mots enroule son parfum et vous raconte l'affaire Levana.
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L'affaire Levana
22 janvier 2007

Le gris du petit matin

Toutes les nuits, sur le coup de 4 heures, mon frère me réveille. Ca n'était plus arrivé depuis plus de trente-cinq ans. Il a ses raisons. Et toutes les nuits, depuis quinze jours, il me réveille. A 4 heures (et des bananes, il disait comme ça).

Cette nuit, à l'heure dite, j'ai ouvert les yeux dans une obscurité totale et étouffante. Je ne la connais que trop cette nuit noire qui m'étouffe, m'empêche de respirer. En fait, la nuit n'a rien à y voir; c'est la peur qui me fait peur, c'est la panique qui m'étreint et me donne envie de m'enfuir. Je ne connais que trop ces réveils-là, la conscience qui affleure, le cauchemar qui s'éloigne et la réalité qui vous atterrit dans l'âme avec ses gros sabots crottés. Au point que je souhaite retourner dans mon cauchemar qui, à tout prendre, valait bien mieux que cette réalité-là.

Il y a environ trente-cinq ans, une nuit noire, 4 heures et des bananes. L'heure de se barrer. Misha, treize ans, me tire les cheveux pour me réveiller. Nous sortons à tâtons de la maison calme et grise, on a pris du pain et des pommes pour la route. Une carte aussi car il faudra traverser la forêt. Nous avons décidé la veille de nous enfuir de chez grand-mère pour retourner à Dijon chez notre père. Quatre cents kilomètres, c'est faisable, non? Surtout avec des pommes et du pain. Les gendarmes mettront 18 heures à nous récupérer. Grand-mère mettra des semaines à s'en remettre. Misha et moi, on s'est débattus comme des sauvages!!!

Mais maintenant que les nuits torturantes sont revenues, c'est seule que je pars à travers bois à 4 heures et des bananes. Je marche et puis je cours et j'attends que se lève le gris du petit matin, le jour sale d'une aube de janvier, et je ne sais plus si je pleure ou si la pluie est salée. Car Misha est mort il y a quinze jours. Tout d''un coup, comme ça.

Je me sens si fatiguée. Est-ce le gris du petit matin, le gris du teint de mon père dévasté, le gris des cernes de Joana ma belle-soeur, le gris qui s'est posé sur l'âme de mes neveux et de ma nièce?  Le gris de la tombe de Jean?

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Commentaires
C
je pense fort à toi !
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